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Le Jardin de Madame Julienne : du Rwanda à l'agriculture urbaine à Montréal

Le Jardin de Madame Julienne : du Rwanda à l'agriculture urbaine à Montréal

  • 06 novembre 2023

En marchant vers son jardin, Julienne nous raconte son histoire. Originaire du Rwanda, Julienne est arrivée au Canada en 2010. Depuis son enfance, ses 4 ans plus précisément, elle jardine. Dans le jardin familial au Rwanda, elle aidait ses parents. Elle a toujours considéré cette activité comme un loisir qu’elle chérit.

Son jardin est en fait un jardin sauvage, débuté en 2019, situé dans une friche sous une ligne Hydro Québec. Elle l’a agrandi, morceau par morceau. Si elle n’en connaît pas la surface car elle n’a jamais cherché à le mesurer, lors d’une seconde visite on établira ensemble que le jardin est d’une superficie de 300 mètres carrés.

Sur ce terrain, elle cultive des haricots romanos (“les gens aiment beaucoup, ils les réclament” ; “on peut les faire bouillir et préparer du riz (les Africains, les Haïtiens font ça) ou des pâtes (ça c’est les Italiens) à côté puis mélanger. Dans mon pays, on la mange avec de la courge, oignon, sel et poivre”), des petits pois, des courgettes, des pommes de terres, des aubergine “d’ici”, intoryi les aubergines du Rwanda, épinards africains - les rouges, “qui sont plus forts en fer et les blancs”, du basilic rouge, de la menthe, de la sauge, de la verveine.

Pour se procurer les semences, Julienne explique qu’elle en achete à des semenciers québécois ou bien elle conserve certaines graines à la fin de la saison.

Au cours de la saison, nous avons rencontré Julienne à plusieurs reprises. Cela a permis d’approfondir pourquoi elle fait “tout ça”. Tout ça c’est ce jardin, la parcelle qu’elle a dans un jardin communautaire et les ateliers pédagogiques qu’elle anime dans une école de son quartier. Si elle consacre autant de temps et d’énergie dans ses activités c’est pour s’occuper mais surtout pour éduquer les enfants, la nouvelle génération. Leur montrer à quel point c’est important.

De savoirs agricoles au Rwanda à pratiques agro-urbaines montréalaises

Madame Julienne a beaucoup appris étant petite en regardant faire et en faisant au jardin de sa mère. Aujourd’hui se sont des connaissances ethnobotaniques, sa culture, ses croyances qu’elle perpétue dans son jardin montréalais et qu’elle partage avec des enfants, des amis, les visiteurs.

“(les courges) je les couvre avec les herbes pour ne pas que quelqu’un vienne la pointer avec le doigt parce que la superstition dit que ça va pourrir sinon”
“Les haricots romanos, ça c’est vraiment en souvenir de ma mère, parce que dans mon pays, on plante les mêmes haricots.”

Ces haricots romanos, comme d’autres plantes de son jardin, sont un marqueur identitaire qui font appel à des souvenirs et des pensées positives qui agissent comme un élément salutogène et d’ancrage dans son nouvel environnement.

L’implantation du jardin de Madame Julienne et son développement sont grandement liés à son esprit de résilience et sa capacité d’apprentissage et d’adaptation, à un nouveau climat, de nouvelles méthodes.

“Moi dans mon pays, il n'y a pas de neige, je ne savais pas comment faire. Alors j’ai fait cette procédure”
“J’ai appris des choses par rapport au climat et par rapport à des plantes qui ne sont pas… par exemple, les épices [herbes aromatiques]. Le basilic, le romarin, ça j’ai appris ici. Parce que chez nous il n’y en a pas beaucoup, il n’y en a même pas. La seule épice que je connaissais avant de venir ici, c’était la menthe. Alors j’ai appris ça et j’ai appris comment gérer, manigancer avec l’hiver, apprendre quand il faut commencer à planter, quand c’est fini de planter.

Son jardin est devenu un moyen de créer du lien avec ses voisins de jardin potager. La voyant travailler cette parcelle seule, l’un d’eux à voulu la soutenir. Il a fait courir un tuyau d’arrosage de son propre jardin à celui de Madame Julienne afin de lui donner accès à l’eau. Chaque saison, ils partagent des récoltes puis des semences entre eux.  

Un refuge vert contre l'insécurité alimentaire

Depuis qu'elle est arrivée au Canada, Julienne se sent chez elle comme une brebis qui a retrouvé son bercail. En sécurité et en santé, elle écoute Radio-Canada pour rester informée et s'affirme canadienne et québécoise. Elle le dit en montrant le sol, la terre de son jardin.

Au-delà du réel bien-être psychologique et physique que lui procure son activité au jardin, Julienne met le doigt sur une autre forme de bienfait de sa production.

“Je préfère manger les légumes que je produis moi-même, les partager à mes amis. Des légumes bio, sans fertilisants. Au lieu d’aller acheter. Surtout que nous on a pas l’argent pour acheter tout ce que nous voulons”

Son témoignage sous-entend un sentiment d’être en insécurité alimentaire. Une situation qu’elle combat par la production de denrées alimentaires, à signification culturelle ou non. Elle produit des aliments sains (propos à nuancer du fait qu’aucune étude des sols n’ait été faite dans ce projet d’initiative citoyenne) qu’elle n’a pas besoin d’acheter en épicerie et qui lui rapportent un revenu vert.

“Au fur et à mesure que les madames voient que je récolte de belles choses, elles m’ont dit “Julienne comment on peut t’aider ?”. Alors je leur ai proposé “déposez moi un petit montant et à chaque fois que je vais au jardin je vous apporte quelque chose”.

Depuis son arrivée, et ce grâce aussi bien à son jardin qu’à des sources d’approvisionnement traditionnelles, Madame Julienne n’a pas changé son alimentation.

“Non, mon alimentation elle n’a pas changé depuis que je suis arrivée. Je mange les mêmes plats. Des fois je mange des lasagnes, mais c’est occasionnel. Des pâtes, c’est occasionnel. J’ai pas changé. Je suis tendance, comment on dit ça … flexitarienne.”

Elle a sa stratégie d’approvisionnement diversifiée et ses connaissances en transformation culinaire qui lui permettent de manger des fruits et légumes, en saison, ou non.

“Tous les condiments, je coupe et je les mélange et je les mets dans des petits sacs. Pendant l'hiver, quand je vais faire une omelette, je m’en vais chercher le petit sac, je mets les condiments.”
“Quand ça va être la fin du jardin, j’aurais quelques tomates à éplucher, peler et mettre dans les boîtes.”
“À l’épicerie, maintenant j’achète les fruits. J’achète les fraises qui sont mes amies, les avocats c’est mes amis, les cerises c’est les meilleures (rires), les mangues c’est les extra meilleures (rires), les oranges sont mes amies alors je les achète. La viande aussi bien sûr, le lait bien sûr.”
“L’intermarché qui est là-bas est bien fourni l’hiver. Je n’ai même pas besoin d’aller loin. Il y a l’Intermarché et il y a le Sami Fruits. À Sami fruits pendant l’été il y aura des épinards africains, mais pendant l’hiver il n'y en a pas. Je ne trouve pas grand-chose de chez moi pendant l’hiver à l’épicerie. Les courges ! Les courges parfois il y en a de belles à Sami Fruits.”

Dans la manière dont elle parle des aliments, on sent un lien presque amical, complice, qui doit s’expliquer par le temps et l’attention qu’elle accorde à son jardin, à sa relation avec la terre en général. Comme un ami qui a toujours été là pour elle, dès son enfance au Rwanda, jusqu’à sa vie à Montréal.

 

Texte d'Angèle Eguienta, Conseillère au Laboratoire sur l'agriculture urbaine (AU/LAB). Réalisé de le cadre du projet Migrant(e)s de AU/LAB